Acharnement thérapeutique, conflits familiaux, droits du patient… L’Affaire Vincent Lambert a largement marqué les esprits. Autant d’éléments pour alimenter les débats sociétaux autour des soins de fin de vie. Pour Tanguy Châtel, sociologue et spécialiste de la fin de vie, l’acharnement thérapeutique, aussi appelé obstination déraisonnable, doit davantage être mis en lumière et les professionnels de santé y être formés. Explications.

Peut-on dire que l’acharnement thérapeutique est tabou ?

Tanguy Châtel : Oui l’obstination déraisonnable est taboue dans notre société. On l’a vu pendant la crise du coronavirus, il y a eu diverses situations mais elles n’ont pas été documentées. Par exemple, on s’est parfois acharné pour faire vivre, avec des incubateurs ou respirateurs… Il s’agissait d’une médecine d’urgence, mais à l’inverse, des personnes n’ont pas bénéficié des soins dont ils auraient dû bénéficier. Dans ce cas on parle plutôt d’un déficit d’obstination. Il faut considérer chaque situation au cas par cas. L’insuffisance de soins s’oppose largement à l’obstination déraisonnable, mais dans les deux cas on n’en parle pas assez.

Les choses ont-elles évolué depuis l’Affaire Vincent Lambert qui a duré plus de 10 ans ?

Tanguy Châtel : Les choses ont évolué puisque le sujet a largement été médiatisé, et tout le monde s’est dit que si Vincent Lambert avait écrit ses directives anticipées, la situation aurait été réglée plus simplement et plus tôt. Cette histoire encourage surtout à écrire ses propres directives. Le taux de rédaction a plus que doublé, même s’il reste insuffisant, il est inférieur à 10%. C’est surtout auprès des professionnels, notamment en intégrant un EPHAD ou un établissement hospitalier, que les personnes sont sensibilisées à ce sujet et sont fortement encouragées à les rédiger. Mais il faut rester prudent, et ne pas avoir la croyance que rédiger ses directives anticipées est la solution à tous les problèmes. Ce n’est qu’une indication de la volonté d’un patient à un moment donné.

En France, nous avons un système de santé avancé. Pourquoi ce sujet pose toujours difficulté ?

Tanguy Châtel : La question qui se pose est celle des médecins formés à la fin de vie. On constate qu’il y a un manque de professionnels formés aux soins palliatifs, et trop peu d’établissements qui disposent des services dédiés. Aujourd’hui, on considère que seulement une personne sur trois ayant besoin de ces soins, en bénéficie réellement.

Dans la plupart des cas, une personne est en fin de vie mais ne le sait pas car le médecin s’ « acharne » en laissant penser que celle-ci peut encore guérir. A l’inverse, il arrive parfois que la famille insiste pour sauver à tout prix leur proche et le faire guérir, mais se retournera ensuite contre le médecin. Il est difficile de savoir laisser mourir quelqu’un, c’est là où les médecins ont aussi ce rôle à assumer.

Comment peut-on faire évoluer les choses ?

Tanguy Châtel : Il faut bien avoir conscience que la coopération entre la famille, le corps médical et le patient, est primordiale. Tout ceci est aussi le fait que la mort est très peu appréhendée d’un point de vue culturel. L’amélioration de l’accompagnement de la fin de vie pourra se faire par un changement culturel. Si nous sommes capables d’enseigner à l’école aux enfants des choses autour de la mort, la génération suivante sera moins maladroite sur cette question de fin de vie. De même que, tant que l’idée qu’il faut à tout prix sauver les patients primera, la vision de l’accompagnement de la fin de vie sera biaisée.

Quoi qu’il en soit, le débat sur l’euthanasie revient aussi régulièrement sur le devant de la scène et n’encourage pas à développer les soins palliatifs qui étaient pourtant sur la bonne voie…

(Crédit photo : istock)