Perdre un être cher est une épreuve intime, souvent bouleversante. Pourtant, à l’heure où nos vies se vivent aussi en ligne, le deuil s’invite désormais sur les réseaux sociaux. Annoncer une disparition, partager un souvenir, écrire quelques mots d’amour ou de révolte : ces gestes qui autrefois se faisaient en privé se déroulent maintenant sur facebook, instagram ou tiktok. Ces espaces numériques peuvent apporter un soutient précieux, mais soulèvent aussi une question essentielle : jusqu’où l’hommage virtuel aide-t-il réellement à traverser la perte, et à partir de quel moment devient-il exposition ? Tentons de décrypter ensemble cette nouvelle façon de faire son deuil.
Un hommage qui rassemble et apaise
Lorsqu’un décès survient, l’envie de prévenir les proches et d’honorer la mémoire du disparu s’exprime souvent en ligne. Les réseaux sociaux permettent de partager rapidement l’information et d’éviter les appels répétés qui ravivent la douleur. Pour beaucoup de familles, cette possibilité représente un soulagement.
Ces espaces ne se limitent pas à une simple annonce. Ils deviennent des lieux de mémoire où les proches publient photos, textes ou musiques, créant ainsi un fil de souvenirs.
Elaine Kasket, psychologue spécialisée dans le numérique, souligne que laisser un message sur la page d’un défunt est aujourd’hui une pratique de plus en plus courante, parfois même plus fréquente que la visite au cimetière. Cette continuité symbolique apporte souvent un réconfort, notamment lorsque la distance géographique ne permet pas une présence physique.
Dans certaines cultures, ce rituel numérique s’intègre même aux traditions. Aux Philippines, par exemple, il est courant que les veillées funèbres se prolongent sur facebook, ce qui permet à des familles dispersées géographiquement de se recueillir ensemble, malgré la distance. Ces pratiques illustrent un besoin universel, celui de rester connecté, même à travers un écran.
Un soutien qui aide à rompre la solitude
Le deuil peut isoler, surtout lorsqu’il survient brutalement. En France, 62 % des 18-24 ans déclarent se sentir régulièrement seuls, un chiffre qui illustre ce que certains qualifie « d’épidémie de solitude » (Ifop, 2024). Dans ce contexte, les réseaux sociaux deviennent parfois une bouée de secours, recevoir des messages, lire des souvenirs partagés, voir qu’on n’est pas seul à pleurer la perte peut apporter un réel apaisement.
Cette dimension collective ne remplace pas les gestes de soutien en personne, mais elle peut les compléter. Les psychologues le soulignent : écrire sur son mur, répondre à un message ou publier une photo permet d’extérioriser ses émotions. C’est une façon de mettre des mots sur la douleur, étape essentielle pour avancer. A l’inverse, garder tout pour soi peut renforcer la souffrance.
Ces espaces virtuels servent aussi de mémoire. Les photos et vidéos rappelant des moments heureux peuvent être réconfortantes. Elles aident parfois à passer du sentiment d’absence à celui de gratitude pour les moments vécus. Mais cet usage, aussi précieux soit-il, demande à être mesuré pour éviter qu’il ne devienne une habitude envahissante.
Quand le partage devient exposition
Partager son chagrin en ligne n’est pas sans risques. La frontière entre hommage sincère et exposition excessive est parfois floue. Certains contenus, créés sous le coup de l’émotion, peuvent donner lieu à des réactions inattendues ou à des jugements.
Un autre écueil réside dans le temps passé sur ces plateformes. L’addiction aux réseaux sociaux est une réalité : passer plus de six heures par jour en ligne peut doubler le risque d’anxiété ou de dépression. En période de deuil, cette immersion numérique peut devenir une échappatoire, retardant la confrontation avec la réalité.
Enfin, l’émergence d’outils comme les « griefbots » (chatbots de deuil) interroge. Ces programmes d’intelligence artificielle recréent la voix ou la personnalité d’un défunt pour maintenir une conversation post-mortem. Si certains y voient un moyen d’adoucir la séparation, les experts alertent sur le risque de prolonger la douleur, voire de créer une dépendance émotionnelle à un lien artificiel.
Trouver un équilibre respectueux
Faut-il pour autant bannir les réseaux sociaux lorsqu’on traverse un deuil ? Certainement pas. Ils peuvent être un outil précieux pour partager, se souvenir et recevoir du soutien. Mais comme pour tout, l’équilibre est la clé.
Il est important de rester attentifs à ses besoins réels : publier un hommage parce que cela vous fait du bien, et non par crainte du silence. Ne pas hésiter à compléter ces échanges numériques par des conversations en personne, des appels, ou encore des gestes concrets comme une cérémonie intime ou un projet en mémoire de la personne disparue.
Les plateformes ont aussi leur rôle à jouer en proposant des options sécurisées et respectueuses comme la transformation des comptes en pages commémoratives. Car si le numérique peut adoucir la peine, il ne doit jamais la transformer en spectacle ni en opportunité commerciale.
Les réseaux redessinent la manière dont nous traversons la perte d’un proche. Ils peuvent créer des ponts, rompre la solitude, prolonger le souvenir. Mais ils peuvent aussi enfermer dans une exposition permanente ou un lien artificiel est difficile à rompre.
Chaque deuil est unique. Si vous choisissez de vous exprimer en ligne, faites-le à votre rythme, avec authenticité, sans oublier que le silence, lui aussi, a sa valeur. Car au-delà des écrans, la mémoire se nourrit avant tout des liens humains et du temps nécessaire pour apaiser la douleur.
(Crédit photo : iStock / ferrantraite)