Accompagner la fin de vie avec dignité est devenu l’un des enjeux majeurs de notre société. Si les soins palliatifs offrent déjà un cadre d’accompagnement pour de nombreuses personnes, ils ne suffisent pas toujours à soulager des souffrances physiques ou psychologiques insupportables. C’est dans ce contexte que la proposition de loi sur l’aide à mourir, adoptée en commission à l’Assemblée nationale début mai 2025 relance un débat aussi intime que collectif. Peut-on vraiment garantir une fin de vie digne sans offrir un droit à choisir sa mort ? A quels critères devra répondre ce nouveau dispositif pour éviter les dérives et garantir la liberté de chacun ? Cette initiative législative entend répondre à ces interrogations. Et elle vous concerne, que vous soyez malade, proche aidant ou simplement citoyen. Décryptage d’un texte qui pourrait transformer en profondeur notre rapport à la mort.

Un droit à l’aide à mourir, mais sous conditions strictes

La proposition de loi n° 1100, portée par le député Olivier Falorni, a été adoptée le 2 mai 2025 en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Elle établit un droit à l’aide à mourir pour les personnes majeures atteintes d’une affection grave et incurable, en phase avancée ou terminale, dont les souffrances sont considérées comme insupportables et réfractaires aux traitements. Autrement dit, ce droit ne s’adresse pas à toute personne en fin de vie, mais uniquement à celles qui ne peuvent plus être soulagées par les moyens médicaux actuels.
Pour bénéficier de cette aide, vous devez avoir la capacité d’exprimer une volonté libre, éclairée et réitérée. Et c’est bien là que le cadre se resserre : la demande ne peut pas émaner d’un tiers, même proche. Elle doit être formulée par écrit par la personne concernée, renouvelée après un délai de réflexion et validée par une équipe médicale pluridisciplinaire. Cette dernière devra s’assurer que les conditions médicales sont bien réunies, que la souffrance est avérée et que la décision n’est pas influencée par une détresse passagère.

Suicide assisté ou euthanasie : un dispositif double et encadré

La loi distingue deux modalités. Si vous êtes en mesure de le faire, vous pourrez vous administrer vous-même la substance létale, dans le cadre d’un suicide assisté. Si ce n’est pas le cas, un professionnel de santé pourra procéder à l’administration, dans ce qu’on appelle une euthanasie active. Dans les deux cas, la procédure sera médicalisée et accompagnée, à domicile ou en établissement de santé, avec la présence obligatoire d’un soignant.
La loi ne laisse aucune place à l’improvisation. Chaque étape est documentée, chaque décision est encadrée. Le but est clair : offrir une solution à ceux qui souffrent trop, sans banaliser la mort ni mettre en péril les plus vulnérables. D’après les termes du texte, ce droit à mourir ne pourra être accordé qu’en l’absence d’alternatives thérapeutiques efficaces et si la personne est jugée lucide.

Une opinion publique largement favorable, mais un débat toujours sensible

Si le sujet divise encore une partie des responsables politiques et des professionnels de santé, l’opinion publique, elle, semble avoir tranché. Selon un sondage IFOP publié en mars 2024, 75 % des Français se disent favorables à la légalisation de l’euthanasie dans des conditions encadrées, tandis que 20 % y sont opposés. Ce soutien massif traduit une aspiration profonde à l’autonomie et au respect des volontés individuelles face à la mort.
Pour autant, cette adhésion ne gomme pas les réticences. Des associations, des soignants et des représentants religieux alertent sur le risque d’une pression sociale implicite sur les plus fragiles. Peut-on vraiment garantir qu’un patient ne demandera pas à mourir pour ne pas « peser » sur ses proches ou sur le système de santé ? Peut-on être certain que cette décision sera toujours prise librement, sans influence ?
Le Conseil national de l’Ordre des médecins, dans une contribution rendue en février 2025, a appelé à une « vigilance éthique permanente » et à un renforcement de la formation des soignants. Car accompagner quelqu’un dans sa mort n’est pas un acte anodin. C’est une responsabilité immense qui nécessite un soutien psychologique, éthique et institutionnel.

Un projet législatif complémentaire sur les soins palliatifs

Cette proposition de loi ne vient pas seule. En parallèle, une autre proposition portée par la députée Annie Vidal vise à renforcer l’offre de soins palliatifs en France. Elle prévoit la création de nouvelles structures, le développement d’équipes mobiles et la généralisation des plans personnalisés d’accompagnement en fin de vie. Aujourd’hui, 20 départements français ne disposent d’aucune unité de soins palliatifs, selon une étude de la DREES publiée en 2023, ce qui crée de profondes inégalités territoriales.
Ce double mouvement législatif est essentiel pour répondre aux critiques selon lesquelles l’aide à mourir ne serait qu’une solution de facilité, faute de soins adaptés. Le gouvernement a d’ailleurs insisté sur la nécessité de voter ces deux textes ensemble pour garantir une approche complète de la fin de vie, fondée à la fois sur le soulagement et sur le respect des volontés.

Ce que prévoit la suite du calendrier parlementaire

Après son adoption en commission, la proposition de loi sera examinée en séance publique à l’Assemblée nationale à partir du 12 mai 2025. Un vote solennel est attendu le 29 mai. Si le texte est adopté, il devra ensuite être transmis au Sénat, où les débats promettent d’être tout aussi passionnés.
Le gouvernement espère une adoption définitive d’ici à l’automne, mais plusieurs amendements pourraient encore modifier la portée du texte. Certaines voix réclament un meilleur encadrement des conditions d’éligibilité, notamment pour éviter les cas ambigus. D’autres plaident pour l’ouverture du droit à des patients atteints de maladie psychiatriques, ce qui fait débat dans plusieurs pays qui ont légalisé l’euthanasie.

Une évolution culturelle autant que juridique

Derrière cette réforme, ce n’est pas seulement un texte de loi qui se dessine. C’est un changement profond de regard sur la fin de vie. En offrant une possibilité d’en finir avec des souffrances jugées insupportables, la loi reconnaît que le choix de mourir peut, dans certaines circonstances, faire partie d’un accompagnement digne.

Mais ce droit, pour être pleinement effectif, devra s’accompagner de garanties solides, de moyens renforcés pour les soignants, et surtout d’une information claire à destination des patients et de leurs proches. Car choisir sa fin de vie est une décision lourde, qui ne peut se faire que dans un cadre de confiance, de soutien et de respect.

(Crédit photo : iStock / Qi Yang)