C’est à la suite de la remise des Trophées des Funéraires d’Or lors du Salon Funéraire 2023 de Villepinte que la rencontre avec Tellement Là s’est produite. Arno Dupré et Adeline Guillot, récompensés du prix visiteurs, n’imaginent pas encore les retombées positives de leur prix sur le déroulement de leur salon.

C’est avec beaucoup d’humanité, une envie sincère et profonde d’accompagner les familles dans la « réappropriation » du deuil, qu’ils ont écrit leur histoire. Celle d’une famille confrontée à un deuil brutal, premiers mots d’un livre écrit à quatre mains, dont chaque chapitre s’inspire d’un vécu, d’émotions authentiques, de besoins identifiés et expérimentés, le tout autour d’un maître mot : la famille.

Rencontre avec les fondateurs de Tellement Là.

Alcyone Guillevic : Quelle est l’histoire de Tellement Là ?

Arno Dupré : Tellement Là a vu le jour à la suite d’un drame familial. Mon frère, conseiller funéraire, est malheureusement décédé en octobre 2013 dans un accident de la route. Notre famille, dont un enfant de cinq ans, s’est donc retrouvée devant un cavurne béton le jour des funérailles. Cette expérience assez brutale a été un élément déclencheur : j’ai cherché une solution pour apaiser la peine ressentie en créant un monument temporaire pour le déposer sur la tombe de mon frère en attendant la pose de la stèle définitive. Ce monument temporaire a fait écho localement. Et lorsque j’exprimais mon ressenti, j’ai été assez surpris de constater qu’il était globalement partagé par de nombreuses familles endeuillées.

C’est donc en juillet 2014 que nous avons déposé le nom de domaine « tellement-là.fr ».

Alcyone Guillevic : Pourquoi avoir choisi « Tellement Là » comme nom de marque ?

Arno Dupré : Parce que le proche décédé n’a jamais été aussi présent. Puis, ce nom renforce l’idée d’être là où personne n’est, avec des produits adaptés, des services, un accompagnement particulier.

Alcyone Guillevic : Quelles sont les valeurs dont sont imprégnées les fibres de votre concept ?

Arno Dupré : L’entreprise a été créée pour soutenir les « familles ». La nôtre initialement, plus largement les familles endeuillées qui attendent de la créativité, de la personnalisation – C’est notre raison d’être.

Adeline Guillot : Effectivement, nous intervenons dans une faille temporelle, pendant ou après l’intervention des pompes funèbres. Au moment du choc terrible de l’annonce du décès, la famille doit se concentrer sur le défunt, et c’est normal. Nous avons à cœur d’accompagner les vivants, ceux qui restent, quand les pompes funèbres accompagnent les défunts.

Alcyone Guillevic : Face à des sépultures dénuées de pierre tombale pendant de long mois, qu’avez-vous compris du secteur funéraire pour consolider votre concept ?

Arno Dupré : Au lancement du projet, la première chose que j’ai faite a été de confronter le constat de ma famille à la réalité du métier. Nous avons donc poussé la porte de nombreuses pompes funèbres pour avoir une idée de ce que l’on pouvait faire ou ne pas faire. Nous disposions de l’outil et avions la capacité de le déployer pour combler un manque évident. Globalement, le secteur semblait plus ou moins conscient de la problématique liée à la livraison du granit. Il s’agissait alors davantage d’un souci de logistique & industriel.

Alcyone Guillevic : Comment votre concept a-t-il été accueilli par les pompes funèbres ? Comment se déroule la collaboration ?

Arno Dupré : Au démarrage, ce n’était pas attendu. Alors, nous avons pondéré notre approche en proposant des solutions saines, sans prétention qui, à notre niveau, profitaient aux familles endeuillées. Pendant trois ans et demi, nous avons participé à douze salons et foires en France, en Belgique, au Canada. Nous avons réfléchi pour concevoir, industrialiser le produit et fédérer autour de la problématique identifiée.  Après quatre années, la notion de monument temporaire s’est installée et s’est implantée pour répondre à un besoin : permettre aux familles de s’approprier la sépulture, la faire vivre, et créer du lien dès l’inhumation. Ce n’était pas évident car il a fallu faire évoluer tout un secteur.

Adeline Guillot : En effet, nous avons cherché à comprendre le fonctionnement du secteur funéraire (réseaux, franchises, indépendants) et les problématiques auxquelles chacun est confronté. Ce sont des acteurs qui ont besoin d’être rassurés sur plusieurs années. Un vrai travail de collaboration et d’échange a été mené pour intégrer au mieux leurs retours d’expérience et améliorer l’offre.

Alcyone Guillevic : Quels ont été les défis auxquels vous avez été confrontés ?

Arno Dupré : Il faut s’intégrer dans un secteur déjà fonctionnel, qui n’a en soi, pas besoin de nous pour bien effectuer son travail. Nous avons tout de suite identifié que notre produit devait passer par les professionnels du funéraire sans jamais être adressé directement aux familles. Alors, c’est un travail mené de concert avec les pompes funèbres, qui proposent les monuments temporaires aux familles.

Alcyone Guillevic : Y a-t-il eu besoin d’autorisations particulières pour accueillir les monuments temporaires dans les cimetières ?

Arno Dupré : Nous avons pu échanger avec plusieurs conservateurs de cimetières et collectivités en France ces dernières années, notre produit n’a jamais posé de souci jusqu’ici. D’ailleurs, durant la covid, c’était l’un des seuls produits en capacité d’être installé malgré les restrictions car nos monuments funéraires sont des ornements sans nécessité d’intervention technique.

Alcyone Guillevic : Comment gérez-vous « l’après » monument temporaire avec les familles ?

Adeline Guillot : On insiste bien sur l’idée qu’il s’agit d’un monument temporaire. Nous ne nous plaçons pas sur la même temporalité que les pompes funèbres avec leurs monument définitifs, conçus pour résister au temps qui passe. Si les familles intègrent cette notion dès le début, elles ont conscience du temps dont elles peuvent profiter avec le monument temporaire. Elles ont enfin à leur portée un espace digne pour se recueillir. Après trois, six ou neuf mois, le monument définitif est livré et posé. A ce stade, les familles ont avancé dans leur deuil et sont préparées à ce changement de monument.

Alcyone Guillevic : Y a-t-il eu un impact pour les pompes funèbres et leurs monuments définitifs ?

Adeline Guillot : Oui, les familles s’impliquent davantage dans la conception du monument définitif. 

Arno Dupré : Un vrai lien s’opère avec le monument temporaire. La famille prend effectivement plus de temps pour réfléchir au monument définitif et faire encore mieux, nous observons une montée en gamme du monument définitif. Elle a à cœur, désormais, de personnaliser l’ornement, d’y réfléchir collectivement avec l’ensemble de la famille et de poursuivre cette première expérience.

Alcyone Guillevic : Vos monuments temporaires sont pensés pour être revalorisés une fois la pierre tombale définitive installée, pouvez-vous nous en dire plus ?

Adeline Guillot : C’est un aspect auquel nous avons beaucoup réfléchi. Notre famille a précieusement conservé le monument temporaire du frère d’Arno. Il y a une dimension particulière lors de la dépose, les sentiments se mélangent : l’impression d’abandonner le défunt, le souhait de conserver son image, la peur d’oublier son visage. Les familles peuvent alors choisir de conserver le monument temporaire à domicile, assez fréquent pour les petits formats cavurne. Il a fallu ensuite réfléchir aux solutions de recyclage, notion indispensable pour les familles, on ne peut décemment pas proposer un produit personnalisé et « jetable ».

Arno Dupré : Je ne croyais en l’avenir du monument temporaire que s’il y avait la notion d’ « après », c’est-à-dire le retraitement. J’ai mené mon enquête en Europe pour avoir une idée de la manière dont il est opéré et force a été de constater qu’en dépit du financement des entreprises à cet effet, rien n’indique qu’un retraitement soit effectué en France ou à l’étranger. Alors, pendant deux ans, nous avons travaillé sur la revalorisation du produit et l’upcyling, une alternative au retraitement. Il fallait être capable de gérer la fin du produit, répondre aux demandes des familles, pour désacraliser le deuil. Tout est donc traité et travaillé du côté de Montpellier.

Alcyone Guillevic : Quelles sont les solutions de revalorisation des monuments temporaires ?

Arno Dupré : A l’origine, je souhaitais exploiter les surfaces du monument temporaire pour créer des portraits, des photos, pour des associations. J’imaginais y faire apparaître des super-héros pour les enfants hospitalisés, les visages des membres de la famille d’un patient atteint d’Alzheimer… en résumé, j’avais l’envie de créer des produits pour les vivants. C’est un projet qui est toujours en phase de réflexion et j’espère qu’il se concrétisera car il rend le deuil un peu moins lourd et lui ajoute une dimension positive liée à l’après.

Actuellement, les monuments peuvent être revalorisés en jardinière pour les mettre dans les cimetières, sur les sépultures ou les intégrer directement dans le granit. Les familles peuvent les conserver chez elles également. Le défunt existe encore, d’une certaine manière, sans avoir le poids du deuil. Aussi, nous avons pour projet de revaloriser les monuments en bancs dans les cimetières pour en faire un lieu de vie, d’échange, et de partage en famille.

Adeline Guillot : Cette revalorisation nous permet de passer du temporaire au pérenne, du deuil à la vie.

Alcyone Guillevic : Durant le Salon Funéraire de Paris en novembre dernier, vous avez été récompensé du prix des visiteurs. Quelle a été votre réaction ?

Adeline Guillot : C’est un prix qu’on espère toujours recevoir, nous sommes vraiment très contents ! Nous avons été agréablement surpris, d’autant qu’il s’agit d’un prix donné par les professionnels, nos partenaires, les pompes funèbres et marbreries avec lesquelles nous travaillons.

Arno Dupré : Nous n’avons que peu de doutes sur le sens de notre produit auprès des familles. On voit bien que notre démarche est saine et logique pour elles. Nous sommes en phase avec leurs besoins et faisons extrêmement attention à ne jamais tomber dans l’opportunisme malveillant. Ce prix révèle une autre dimension, cette fois-ci en rapport à la profession : notre produit est innovant, voire insolite. Nous comblons un besoin identifié et analysé par Tellement Là, nous avons pensé un produit selon une réflexion orientée vers la famille, alors ce prix c’est aussi un gage de confiance, de légitimité et de crédibilité du produit que nous proposons, aux yeux des professionnels.

Alcyone Guillevic : Quel a été l’impact d’un tel prix sur le déroulement de votre salon ?

Adeline Guillot : Nous avons gagné en visibilité. Beaucoup de personnes étaient au courant de notre nomination, étaient présentes à la cérémonie de remise des prix. Cette récompense a sans doute changé le regard des pompes funèbres : elles se sont arrêtées sur notre produit. Nous avons pu vraiment échanger autour de notre problématique commune à savoir : soutenir les familles. Et cela, avec une solution concrète. 

Arno Dupré : Le salon a été un réel coup de projecteur sur Tellement Là, d’ailleurs nous comptabilisons beaucoup d’inscriptions et de commandes depuis. Il y a un réel engouement des pompes funèbres autour du produit. Au-delà de notre récompense, je pense que tout un panel d’innovation a été mis en lumière au salon funéraire. Je trouve cela important qu’il y ait de véritables innovations dans ce secteur, et pas seulement les nôtres. Qu’il s’agisse de solutions insolites, de développement produit, beaucoup d’acteurs font bouger le secteur, qui en a besoin, et auraient eux-aussi mérité le prix pour leur travail.

Alcyone Guillevic : Quelle est la suite de l’histoire de Tellement Là pour 2024 ?

Arno Dupré : Plusieurs produits seront proposés en 2024 : la stèle textile FABRIC (la personnalisation d’une stèle au quotidien, au rythme des saisons), la stèle solaire ORA et la Sellette sonore DIVA qui permet la personnalisation des salons funéraires, lieux neutres.

Adeline Guillot : Cette sellette permet de diffuser une musique dédiée au défunt, ou du moins une musique agréable pour la famille endeuillée. Le cadre est maîtrisé pour que cela ne demande aucune gestion des pompes funèbres et que les autres familles ne soient pas dérangées par la musique.

Arno Dupré : Les familles se réapproprient le moment car beaucoup de personnes ne se sentent pas à l’aise dans une chambre funéraire et refusent même d’y entrer.

Alcyone Guillevic : Quels sont vos plus beaux accomplissements dans cette aventure entrepreneuriale ?

Arno Dupré : En regardant dans le rétroviseur, je dois dire que je suis vraiment fier du chemin de vie emprunté. Avoir un pied dans ce beau secteur qu’est le funéraire, est un accomplissement et un hommage rendu à mon frère. Je prends du plaisir à y travailler, car j’accompagne des familles pour les bonnes raisons. Et nous faisons aussi des rencontres assez magiques.

Adeline Guillot : Effectivement, il y a eu des rencontres clés dès notre premier salon en 2017, elles nous offrent une confiance, un partage d’expériences, ces relations ne font que se renforcer. J’ajouterai que 2023 est une date clé pour nous : ce sont les 10 ans de la disparition du frère d’Arno, notre bonne étoile, et les dix ans de cette fantastique aventure en quelque sorte, une histoire écrite finalement à six mains.

(Crédit photo : iStock – LedLopezHdz)