Mort brutale : de l'inacceptable à la résilience

« Partir de sa belle mort » est une expression usuelle lorsque la mort fut douce et à fortiori lorsqu’elle survient à un âge avancé. Elle était prévisible, attendue même parfois. Personne ne songerait à cette expression lorsque la mort a été provoquée par un accident, un suicide ou toute cause inattendue.

Une sensation d’inachevé, des vies interrompues

La mort violente d’un proche n’a jamais été envisagée et provoque donc une submersion de questions, de rejets et de regrets. « Pourquoi lui ? Pourquoi si tôt ? A-t-il souffert ? » Tant de questions aux réponses improbables. « Nous avions encore tant de choses à vivre ensemble », l’avenir s’arrête, non seulement notre avenir commun mais plus largement le nôtre. La mort violente pétrifie les proches du défunt comme si la seule issue pour prolonger la vie était de la suspendre.

« Savait-il à quel point nous l’aimions ? Lui avions nous assez dit ? ». Tous ces regrets se cristallisent dans l’absurdité d’un adieu impossible.

Mais il y a aussi les conflits non réglés qui deviennent désormais insolvables et que l’on regrette de ne pas avoir dissipé avant.

L’accumulation de ces difficultés rendent le deuil particulièrement complexe, à tel point qu’il n’est pas rare que les proches freinent l’organisation des obsèques sous divers prétextes comme l’hypothétique respect des dernières volontés qui de fait n’ont pas été exprimées.

Cette sensation d’inachevé tente de prolonger la vie du défunt, refusant son départ et rendant d’autant plus difficile de démarrage du deuil.

Entre culpabilité et colère, deux étapes à surmonter

« C’est ma faute je n’aurais jamais dû lui acheter ce vélo » ou « c’est moi qui lui avais demandé de sortir acheter le pain ».

Face à l’impuissance, à la sidération, l’auto-culpabilisation est un recours commun qui peut être assorti de la culpabilisation d’un élément extérieur. Il peut s’agir tout autant d’en vouloir aux automobilistes, à Dieu ou au destin. Quel que soit le réceptacle de cette colère, il s’agit d’affronter l’impossibilité de donner un sens à cette mort violente.

Cette culpabilité, orientée vers soi ou vers les autres, peut se traduire en agressivité autant vers soi que vers les autres. Cette agressivité marque la difficulté à pardonner, soi ou les autres. Mais pardonner de quoi ? Pour pardonner un acte il faut le connaître avant tout. Lorsqu’il s’agit d’un accident causé par un automobiliste ivre, si le pardon est difficile et ne se fera peut-être jamais, il est malgré tout une voie possible, une voie qui pourrait avoir un sens. Mais se pardonner à soi même d’avoir demandé de ramener du pain est beaucoup plus complexe et nécessite un travail de longue haleine, un travail de retour à la réalité au cours duquel celui qui se sent coupable pourra non pas se pardonner, mais comprendra qu’il n’a pas à se pardonner puisqu’il n’est pas coupable.

Le retour au réel, se réconcilier avec la vie

L’émergence d’une mort brutale déstabilise tout son être, toutes ses perceptions.

Elle exacerbe l’évidence que tout peut arriver à tout moment. Mais dans cet état de sidération, c’est surtout, voire exclusivement le pire qui devient envisageable à chaque instant, pour soi comme pour les autres.

Adieu les certitudes, la croyance en l’avenir, tout cela vole en éclats. Quel sens peut avoir l’avenir s’il est si fragile ?

Ce difficile et pessimiste constat ne sera contrebalancé que par l’apaisement qui surviendra au cours du travail de deuil. Ce travail de deuil permettra de cicatriser les plaies engendrées par cette mort brutale, d’en apaiser les douleurs associées et de retrouver un rapport au réel plus équilibré.

Certains s’aideront en sublimant une notion de destin, ou en acceptant les mystères de la vie, donc de la mort. D’autres adopteront une démarche de résilience visant à contrecarrer ou à lutter contre les causes de l’accident de leur proche.

Dans tous les cas, le choc provoqué par une mort violente rend le travail de deuil plus complexe, et même si à ce stade vous ne croyez pas pouvoir en sortir, sachez que cette sensation est naturelle en phase de sidération, mais que le travail de deuil fera son ouvrage, même si un accompagnement spécifique peut parfois être nécessaire, et toujours utile.