Manon-Moncoq-Interview

Anthropologue spécialiste du funéraire depuis 2018, Manon Moncoq, aussi passionnante que passionnée, est consultante et intervenante depuis 2021 et titulaire du diplôme de conseiller funéraire. Elle s’impose comme une experte rare, puisqu’ils ne sont que deux anthropologues spécialisés dans le funéraire, chercheurs indépendants, en France. Sa force ? Se questionner sur le funéraire français.

C’est au cours du Salon Funéraire de Paris, en novembre 2023, que nous avons eu la chance de croiser sa route. Alors qu’elle finalise sa thèse sur les funérailles écologiques en France, Manon trouve le temps de répondre à nos questions afin de mettre en lumière son métier, sa vision du funéraire de demain, mais aussi l’intérêt de son intervention auprès du grand public et des entreprises.

Rencontre.

Alcyone Guillevic : Comment vous est venue cette passion pour l’anthropologie du funéraire ?

Manon Moncoq : Je pense avoir compris d’où m’était venue cette passion en 3e année de licence. Nous étudions l’auto-socioanalyse ou la mise en pratique des lois sociales apprises sur son propre parcours. Cela met en évidence que les choix que l’on fait ne sont jamais anodins. Dans mon cas, quand j’avais trois ou quatre ans, ma grande sœur m’a emmenée au musée du Louvres. Devant la momie exposée, je me suis énormément questionnée. Par chance, mon grand-père était un passionné d’Fistoire et particulièrement d’Egypte. Il m’a offert beaucoup de livres, d’encyclopédies à ce sujet.
J’ai eu très envie de devenir archéologue, comme beaucoup d’enfants à cet âge-là. Mais à douze ans, j’ai découvert le métier d’anthropologue. J’ai alors compris immédiatement que c’était ce que je voulais faire de ma vie.

Alcyone Guillevic : Comment votre passion – assez insolite à cet âge-là – a-t-elle été accueillie par votre entourage ?

Manon Moncoq : Insolite oui, et encore plus pour une petite fille quand elle lit des ouvrages sur la mort à sept ou huit ans. Je dirai que cela a été plus difficile lorsque j’ai décidé d’aller sur le terrain, en pompes funèbres, à dix-huit ans. En proie aux stéréotypes du secteur, ils craignaient que je tombe dans le morbide, que je devienne gothique. Notre histoire familiale a été marquée par le décès brutal de notre père à la suite d’un suicide. Certains y ont vu comme la raison pour laquelle j’ai souhaité travailler dans le secteur funéraire. Mais mon intérêt pour la mort s’est manifesté bien avant. Je dirai plutôt que la disparition de mon père m’a permis de me socialiser à la mort.

Alcyone Guillevic : Faut-il avoir vécu un événement marquant pour voir naître une vocation à travailler en pompes funèbres ?

Manon Moncoq : Dans la majorité des cas, les personnes qui travaillent en pompes funèbres ont connu une expérience qui les a amenés à entrer dans ce secteur. Et quand on y reste, ce n’est pas par hasard. Il y a parfois la volonté de changer les choses car on a mal vécu une cérémonie ou un soin de conservation mais il y a aussi le cas contraire ! Certaines personnes se lancent car elles ont tellement bien vécu une expérience qu’elles veulent offrir cette occasion à d’autres endeuillés.

Alcyone Guillevic : Comment en êtes-vous arrivée à animer des conférences ?

Manon Moncoq : Cette expérience s’est un peu présentée par hasard. J’avais envie de faire un métier qui existait très peu mais qui était, par chance, développé par les services funéraires de Paris. Ils avaient une anthropologue dédiée aux questions cérémoniales et sociétales dans leur service. J’ai réussi à faire un stage avec elle. Malheureusement, le financement de thèse par contrat CIFRE que je devais faire eux n’a pas pu se faire. Alors que mon rêve s’écroulait, des organismes sont venus à moi, les uns après les autres. J’en suis arrivée à créer mon statut d’indépendant pour animer des conférences.  

Alcyone Guillevic : Pourquoi, selon-vous, y a-t-il un tel engouement autour de votre expertise ?

Manon Moncoq : Il faut savoir que nous sommes très peu en France et encore moins sur le fait funéraire français ! Généralement, on travaille sur des faits non occidentaux ou de pays particuliers. Mais il y a peu de sociologues, d’anthropologues sur le sujet français tout comme il y a peu de jeunes chercheurs. Je pense que j’attise la curiosité car j’apporte une connaissance différente autour des funérailles écologiques, domaine qui n’avait pas encore été étudié jusqu’à aujourd’hui. Depuis ma spécialisation en tant que consultante, je crois que nous sommes deux en France à exercer ce métier, avec mon confrère Martin Julier-Costes.

Alcyone Guillevic : A quels besoins répondez-vous lors de ces conférences ?

Manon Moncoq : On me sollicite pour partager des informations en interne auprès des salariés. On aborde alors l’évolution du rapport à la mort (passé/actuel/futur), la présentation des nouveaux modes de sépulture alternatifs à l’inhumation ou la crémation. Il y a un réel partage de connaissances et d’expertises. Ensuite, je suis sollicitée pour intervenir devant le grand public, dans les médiathèques, lors des cafés mortels, au cours d’expositions. Là, la question des funérailles est importante. Quels sont les choix possibles ? A quoi sert le rite funéraire et quelle est sa structure ? Les personnes sont intéressées car elles font le lien avec leurs propres dernières volontés.

Alcyone Guillevic : Comment jaugez-vous l’intérêt, les réactions des participants au sujet des funérailles écologiques ?  

Manon Moncoq : Tout dépend du public. Lorsqu’il s’agit d’interventions internes au secteur funéraire, le sujet des funérailles écologiques est assez tranchant. Certains pensent que ça n’a aucun intérêt, que c’est encore trop compliqué et que notre système économique n’est pas encore adapté à cette ambition.

Pour ce qui est du grand public, je ressens qu’il y a une vraie demande. La société civile, comme j’aime l’appeler, a envie d’aborder ces questions-là. Il n’y a pas d’espace, pas de temps pour parler de la mort. Il y a un besoin manifeste de résoudre une grande problématique sociale. Alors, quand je parle de mon métier, quand j’ouvre la porte du funéraire, il est difficile de la refermer. Les participants posent des tas de questions, se confient sur leurs expériences.

Alcyone Guillevic : Selon vous, cette distance avec le funéraire s’explique-t-elle par une sacralisation de ce secteur et/ ou une méconnaissance du sujet ?

Manon Moncoq : Jusque dans les années 70, la mort était prise en charge par la communauté (famille, amis, village). La professionnalisation de la mort nous a éloigné de la sensibilité accrue – liée à différents facteurs – autour de la matérialité des corps morts. A partir de ce moment, il devient difficile de voir, sentir, toucher un vrai corps mort. Et ces derniers sont mis à l’écart physiquement avec la prise en charge des défunts par les professionnels du funéraire. Conséquences ? On a encore moins les codes. C’est de plus en plus dur de s’y confronter. Il y a aussi un cadre légal très important en France : on ne fait pas n’importe quoi avec nos défunts. Mais depuis l’apparition des coopératives funéraires ou « les apéros de la mort » de Happy End, les liens se recréent avec les défunts et les événements liés à la mort (Le printemps des cimetières, El dia de los muertos). Dans une certaine mesure, les familles ont l’envie profonde de se réinvestir dans les funérailles, malgré la complexité du processus. Pourtant, les professionnels du funéraire sont aussi là pour laisser la place physique ou mentale à la famille d’être pleinement dans le rite, pour qu’elle puisse dire au revoir à son défunt et faire son deuil. Un équilibre est à trouver : si elle devait gérer le rite funéraire de A à Z, la famille ne pourrait pas se concentrer sur son deuil.

Alcyone Guillevic : Pour quelles raisons réalisez-vous des audits dans le secteur funéraire ?

Manon Moncoq : On m’interroge aussi sur les modes de sépulture, grâce aux enquêtes ou interviews participantes : je transmets mes analyses, mes retours. Par exemple, une designer funéraire a fait appel à mes services. Elle avait le projet de créer un nouveau catafalque qui serait un support de cérémonie civile (Néorite, La Source). Elle voulait mes connaissances sur les rites, le funéraire en général. Il y a eu une réflexion plus globale sur la taille du catafalque qui était trop large. La famille ne pouvait pas toucher le cercueil. Cet audit a donc permis de se mettre à la place des familles et d’envisager des adaptations.

Alcyone Guillevic : Quels constats majeurs faites-vous à la suite de ces audits dans le secteur funéraire ?

Manon Moncoq : Depuis le début de ma thèse, je constate que les funérailles écologiques sont peu abordées. Mais en quelques années, et surtout depuis 2020, il y a eu un coup d’accélérateur incroyable. La loi a évolué par endroits, comme en Belgique où le cercueil n’est plus obligatoire. De plus en plus de chercheurs en sciences humaines et sociales, en architecture et design se concentrent sur les funérailles car c’est un sujet qui questionne. Il y a eu aussi beaucoup de changements chez les pompes funèbres avec l’arrivée des coopératives funéraires. Elles ont permis de développer l’offre, ce qui est bénéfique pour les familles qui doivent rester l’intérêt central et primordial. Je dirai toutefois que les cérémonies civiles mériteraient d’être davantage traitées car les professionnels du funéraire ne sont pas assez formés sur le sujet.

Alcyone Guillevic : Quelle est la vision des modes de sépulture en France ?

Manon Moncoq : La demande est grandissante en matière de crémation ! En revanche, les jeunes générations sont plus intéressées par l’inhumation et même l’humusation, ce qui est assez étonnant. Est-ce l’idée d’un retour à la terre ? Un lien sans artifice ? Un besoin de matérialité ? La crémation restera toutefois dans ses taux de 40/60 % voire plus. En France, il y a aussi un réel intérêt pour les soins de conservation, qui y sont importants alors que dans d’autres pays comme le Royaume-Uni ou la Suisse, il y en a très peu. Ces derniers posent débat.

Alcyone Guillevic : Quelle est l’évolution des modes de sépulture sur le territoire national ?

Manon Moncoq : En 1886, la crémation est interdite par l’Eglise mais autorisée en 1887 par le gouvernement. Il faut attendre la fin du XXe siècle avec l’autorisation de l’Eglise pour qu’elle se démocratise et concerne un convoi sur deux. Dans les années 2000/2010, certaines personnes ont souhaité réinventer les modes de sépulture pour prendre en charge nos morts. Il y avait la volonté de proposer des méthodes plus écologiques à l’inhumation et à la crémation.

Alcyone Guillevic : Qu’est-ce que la promession ?

Manon Moncoq : Est alors apparue la promession (brevetée mais pas légalisée). Sa créatrice avait pour idée de congeler le corps du défunt dans de l’azote liquide, pour ensuite le placer sur une table vibrante. Par l’effet de la vibration et de la congélation, le corps se désintègre en petites particules. Ensuite, on extrait l’eau des particules (60 %) par le processus de lyophilisation. Puis, on retire les métaux présents (dents, prothèses, etc) avec un aimant. Selon sa créatrice, étant donné que la matière organique est conservée, il y a un potentiel fertile. Son but : agglomérer ces particules pour obtenir un volume sept fois plus important qu’une crémation, soit environ 20 litres. Dans l’idée, l’agglomérat est ensuite planté dans la terre pour y faire pousser un arbre du souvenir. Même si le processus est énergivore, il a le mérite d’avoir été pensé et breveté.

Alcyone Guillevic : On entend de plus en plus parler de l’aquamation, de quoi s’agit-il et quels sont les enjeux ?

Manon Moncoq : L’aquamation est brevetée depuis 2014. Il s’agit d’un processus qui vise à réduire le corps en cendres mais par l’action de l’eau. Le défunt est placé dans une cuve chauffée et mise sous pression (3 à 10h). La matière organique se dissout, il n’y a plus d’ADN dans l’eau. On récolte ensuite les os, qu’on pulvérise en cendres. Ce qui est intéressant avec l’aquamation, c’est que l’état final est identique à celui d’une crémation. Pour les familles, cela fait écho à ce qu’elles connaissent déjà. Mais il y a une symbolique différente grâce à eau : plus positive, plus douce, car source de vie, de régénérescence dans l’imaginaire collectif. D’après une étude hollandaise, cette méthode est plus écologique que la crémation car il n’y pas, entre autres, de rejet atmosphérique, et donc pas de pollution. Mais la question du liquide restant invite au débat. Il doit normalement être remis dans le circuit de l’eau jusqu’à la station d’épuration. Certains émettent des doutes liés à la mémoire de l’eau. Ce processus est toutefois déjà autorisé dans de nombreux états des Etats-Unis et dans certaines provinces canadiennes.

Alcyone Guillevic : Il y a aussi le concept d’humusation, que pouvez-vous nous en dire ?

Manon Moncoq : L’humusation a été pensée en Belgique par Métamorphose. Il s’agit d’un processus particulier. Le corps est déposé dans un linceul biodégradable, sous un broyat. En quelques mois, la matière organique va être digérée par les organismes vivant présents dans ce broyat. On récupère les os, on les réduit en poudre pour la mélanger au broyat. Au bout d’un an, un compost – l’humust – est créé grâce au corps humain. 1 % du compost revient à la famille (15L) qu’elle pourra mettre au pied d’un arbre, dans une forêt mémorielle. Le reste sert au reboisement de la planète. Ce processus n’est légalisé nulle part bien que des discussions soient en cours en Belgique. Cependant, dans quelques états américains, les NOR process sont appliqués et se basent sur la même idée. La société Recompose, par exemple, place le corps dans un caisson hermétique, milieu artificiel, pendant un mois seulement. Une autre société américaine propose ce système, mais de façon un peu plus artisanale. On appelle ça le « natural burial » ou enterrement naturel en français : enterrer le corps dans une tombe de terre recouverte de copeaux. Mais ici, les familles ne récupèrent pas l’humus à l’issue du processus.

Alcyone Guillevic : Sur quoi sont fondés les choix du gouvernement en matière de mode de sépulture ?

Manon Moncoq : C’est une très bonne question, très complexe. Prenons l’exemple de la Chine où le gouvernement a imposé la crémation car il y a tellement de décès qu’il n’y a plus de places dans les cimetières. C’est un choix purement pratique, presque foncier. Traditionnellement, la Chine était pourtant portée sur l’inhumation.

Autre exemple au Tibet où, pendant longtemps, les funérailles célestes étaient pratiquées. Il s’agissait de donner le corps du défunt à manger aux vautours. Le gouvernement a décidé de mettre un terme à cette pratique jugée peu moderne et desservant l’image du pays.

En France, la crémation a été autorisée en 1887, notamment grâce à la loi sur la liberté des funérailles. Mais il faut attendre l’accord de l’église en 1963 pour que cette pratique soit popularisée. Je pense que le gouvernement doit s’adapter à son temps, à la demande, mais aussi aux contraintes environnementales et sociales. Nous comptabilisons près de 700 000 décès chaque année en France et ce n’est pas près de diminuer. La question de l’impact des défunts sur l’environnement doit se poser et aboutir à des changements. Il faut pouvoir questionner l’existant, penser à la multitude de paramètres entrant en compte dans ces décisions, toujours pour le bien des familles et des défunts.

Alcyone Guillevic : Que retenez-vous de votre expérience professionnelle ?

Manon Moncoq : Dans le funéraire aussi large soit-il, on y fait des rencontres incroyables, très riches, très intenses.  Nous partageons cette passion avec des approches différentes. Mes clients m’apprennent beaucoup et j’espère leur apporter ce dont ils ont besoin. Grâce à ces expériences, j’ai la chance d’accéder à des informations qu’il m’aurait été difficile de trouver seule, car mes prospects partagent leurs recherches, leur savoir. J’ai un profond respect pour les professionnels du funéraire. Il faut continuer de valoriser les métiers de l’ombre, sans qui on ne serait rien. L’anthropologie amène à travailler en solitaire, et mon expérience m’apprend à quel point le partage avec les vivants est essentiel.

Manon Moncoq espère finaliser sa thèse cette année, après 6 ans de recherche intense autour des funérailles écologiques. Cette experte, dont les fibres sont empreintes d’une passion née dans l’enfance, a su conquérir le cœur des professionnels du funéraire et du grand public pour partager avec eux, ses connaissances du secteur. Encore timide à l’idée de publier ses précieuses recherches dans un livre, elle espère s’enrichir toujours plus de cette transmission réciproque que représente chaque rencontre. Et le funéraire de demain, alors ? Manon entrevoit une réelle métamorphose du funéraire, pensée – toujours – pour le bien des familles.

(Crédit photo : iStock – Chalongrat Chuvaree)